29/04/2024

Maladies environnementales : des patient.es lanceurs d’alerte

Rencontre avec Anne Buisson (directrice de l’AFA, association dédiée aux patient.es de « MICI ») 

 

 

Des maladies du monde moderne

 

Savez-vous ce que signifie le terme MICI ? Peut-être vous sentirez-vous plus concerné.es par le nom des pathologies que cet acronyme regroupe : la maladie de Crohn et la Rectocolite Hémorragique (RCH).  Ces deux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI donc) sont en effet malheureusement de plus en plus rependues dans nos sociétés. Elles concernent plus de 300 000 Français.es et notamment parmi les plus jeunes d’entre nous. 

 

Certains diront que ce sont des maladies « du monde moderne », car leur épidémiologie ne trompe pas : leur prévalence est en explosion depuis le XXème siècle surtout dans les pays du Nord. Certains pays du Sud, adoptant les modèles de développement économique occidentaux, voient d’ailleurs progressivement ces maladies se répandre.

 

« Environnement déréglé, intestins en danger »

 

L’AFA Crohn RCH dédiée au soutien des patient.es demande ainsi à ce que l’on reconnaisse les MICI comme des maladies environnementales. Anne Buisson, la directrice de l’association nous explique : « dans les années 90 les chercheur.es se sont rendu.es compte qu’une personne qui quitte un pays dans lequel il n’y a pas beaucoup de MICI pour s’installer en Angleterre par exemple où la prévalence est élevée, peut récupérer le risque du pays en une génération : son enfant aura autant de « chances » de développer la maladie que si ses parents avaient toujours vécu sur place.  Le facteur génétique, très étudié au XXème siècle, n’explique pas la teneur du développement pathologique auquel nous faisons face. »

 

« Le récent boom des études sur le microbiote a permis en revanche de montrer le lien entre l’apparition de ces maladies et le développement de dysbioses » poursuit Anne Buisson, c’est-à-dire de déséquilibres microbiens au niveau de l’intestin. Les causes de ces perturbations sont en partie environnementales. On sait par exemple que l’exposition dès le plus jeune âge à la plupart des antibiotiques peuvent participer au développement des MICI. De même, le tabagisme, la vie en milieu urbain, les aliments ultra-transformés, très riches en sucre ou en mauvaises graisses sont identifiés comme des facteurs causaux du développement de la maladie de Crohn et de la rectocolite hémorragique[1]. Reconnaître les MICI comme des maladies environnementales reviendrait à donner plus de notoriété à ces maladies trop peu connues du grand public mais aussi à faire avancer la recherche pour identifier plus clairement les facteurs et mécanismes en jeu. Pour Anne Buisson, « on n’en est qu’au début de la recherche ».

 

 

Journée mondiale des MICI 2023 - AFA

La reconnaissance des MICI comme maladies environnementales était le grand thème de la journée mondiale des MICI organisée en mai 2023.

 

Quand les associations de patient.es lancent l’alerte

 

Selon la directrice de l’association on ne peut pas rester « bras ballants ». Il y a urgence à agir et ce, à tous les niveaux.

Il faut continuer d’accompagner les patient.es dans leur parcours de soin, les aider à mieux comprendre la maladie et la recherche en cours, agir sur les facteurs aggravants, proposer d’aménager leur environnement pour compléter les traitements et limiter le développement de la maladie. Mais il faut aussi agir sur les causes, car sans mesures de prévention primaire[2], la société s’expose à une augmentation continue du nombre de malades, et des malades qui seront toujours de plus en plus jeunes.

 

Tant qu’un ou plusieurs facteurs n’ont pas été clairement identifiés (à l’image du tabac pour le cancer du poumon par exemple), il sera difficile de mobiliser les institutions. La dimension complexe et multifactorielle des MICI doit-elle pour autant empêcher la société d’agir pour prévenir son incidence ?  « Non » réplique Anne Buisson « toutes les mesures ne sont pas faciles à prendre : bien sûr qu’on n’interdit pas l’accès à une antibiothérapie à un enfant en raison d’un surrisque de la maladie de Crohn. En revanche, les mesures anti-tabac, ou de préservation de la biodiversité peuvent être conduites dès à présent, sans qu’il y ait aucun risque ». 

 

La bataille pour la reconnaissance des MICI comme maladies environnementales s’inscrit selon nous dans une lutte déjà ancienne et qu’ont connue de nombreux patient.es malades de pathologies provoquées directement ou indirectement par les modèles de développement de nos sociétés industrialisées. Qu’il s’agisse du cancer du poumon lié à l’industrie du tabac, des cancers liés aux pesticides, additifs, PFAS de l’industrie agroalimentaire[3] ou encore de l’asthme et des allergies liés à la pollution de l’air et à l’aseptisation de nos milieux, les patient.es concernés sont des lanceurs d’alerte dont la parole est d’intérêt public. Ils ne sortiront véritablement du silence que lorsqu’ils seront entendus.

 

 

  Lien vers le site de l’association : https://www.afa.asso.fr/

 

 



[2] On distingue trois niveaux de prévention différents : la prévention primaire qui consiste à « éviter ou réduire la survenue ou l’incidence des maladies et des handicaps ». Les mesures liées à ce type de prévention peuvent être centrées sur les comportements individuels ou être sur des mesures de santé environnementale (Ex : campagnes de prévention sur l’alimentation « mangez 5 fruits et légumes par jour » ou la mise en place de quotas de légumes bio dans les cantines scolaires). Il existe ensuite la prévention secondaire qui agit sur le développement des maladies et enfin la prévention tertiaire qui agit pour « amoindrir les effets et séquelles d’une pathologie ou de son traitement ».  https://www.celester.org/guide-methodologique-1/definitions/les-3-niveaux-de-prevention-selon-loms

 

[3] Voir à ce propos le film « Notre poison quotidien » de Marie-Monique Robin https://boutique.arte.tv/detail/notre_poison_quotidien

 

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Rencontre avec Anne Buisson (directrice de l’AFA, association dédiée aux patient.es de « MICI ») 

 

 

Des maladies du monde moderne

 

Savez-vous ce que signifie le terme MICI ? Peut-être vous sentirez-vous plus concerné.es par le nom des pathologies que cet acronyme regroupe : la maladie de Crohn et la Rectocolite Hémorragique (RCH).  Ces deux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI donc) sont en effet malheureusement de plus en plus rependues dans nos sociétés. Elles concernent plus de 300 000 Français.es et notamment parmi les plus jeunes d’entre nous. 

 

Certains diront que ce sont des maladies « du monde moderne », car leur épidémiologie ne trompe pas : leur prévalence est en explosion depuis le XXème siècle surtout dans les pays du Nord. Certains pays du Sud, adoptant les modèles de développement économique occidentaux, voient d’ailleurs progressivement ces maladies se répandre.

 

« Environnement déréglé, intestins en danger »

 

L’AFA Crohn RCH dédiée au soutien des patient.es demande ainsi à ce que l’on reconnaisse les MICI comme des maladies environnementales. Anne Buisson, la directrice de l’association nous explique : « dans les années 90 les chercheur.es se sont rendu.es compte qu’une personne qui quitte un pays dans lequel il n’y a pas beaucoup de MICI pour s’installer en Angleterre par exemple où la prévalence est élevée, peut récupérer le risque du pays en une génération : son enfant aura autant de « chances » de développer la maladie que si ses parents avaient toujours vécu sur place.  Le facteur génétique, très étudié au XXème siècle, n’explique pas la teneur du développement pathologique auquel nous faisons face. »

 

« Le récent boom des études sur le microbiote a permis en revanche de montrer le lien entre l’apparition de ces maladies et le développement de dysbioses » poursuit Anne Buisson, c’est-à-dire de déséquilibres microbiens au niveau de l’intestin. Les causes de ces perturbations sont en partie environnementales. On sait par exemple que l’exposition dès le plus jeune âge à la plupart des antibiotiques peuvent participer au développement des MICI. De même, le tabagisme, la vie en milieu urbain, les aliments ultra-transformés, très riches en sucre ou en mauvaises graisses sont identifiés comme des facteurs causaux du développement de la maladie de Crohn et de la rectocolite hémorragique[1]. Reconnaître les MICI comme des maladies environnementales reviendrait à donner plus de notoriété à ces maladies trop peu connues du grand public mais aussi à faire avancer la recherche pour identifier plus clairement les facteurs et mécanismes en jeu. Pour Anne Buisson, « on n’en est qu’au début de la recherche ».

 

 

Journée mondiale des MICI 2023 - AFA

La reconnaissance des MICI comme maladies environnementales était le grand thème de la journée mondiale des MICI organisée en mai 2023.

 

Quand les associations de patient.es lancent l’alerte

 

Selon la directrice de l’association on ne peut pas rester « bras ballants ». Il y a urgence à agir et ce, à tous les niveaux.

Il faut continuer d’accompagner les patient.es dans leur parcours de soin, les aider à mieux comprendre la maladie et la recherche en cours, agir sur les facteurs aggravants, proposer d’aménager leur environnement pour compléter les traitements et limiter le développement de la maladie. Mais il faut aussi agir sur les causes, car sans mesures de prévention primaire[2], la société s’expose à une augmentation continue du nombre de malades, et des malades qui seront toujours de plus en plus jeunes.

 

Tant qu’un ou plusieurs facteurs n’ont pas été clairement identifiés (à l’image du tabac pour le cancer du poumon par exemple), il sera difficile de mobiliser les institutions. La dimension complexe et multifactorielle des MICI doit-elle pour autant empêcher la société d’agir pour prévenir son incidence ?  « Non » réplique Anne Buisson « toutes les mesures ne sont pas faciles à prendre : bien sûr qu’on n’interdit pas l’accès à une antibiothérapie à un enfant en raison d’un surrisque de la maladie de Crohn. En revanche, les mesures anti-tabac, ou de préservation de la biodiversité peuvent être conduites dès à présent, sans qu’il y ait aucun risque ». 

 

La bataille pour la reconnaissance des MICI comme maladies environnementales s’inscrit selon nous dans une lutte déjà ancienne et qu’ont connue de nombreux patient.es malades de pathologies provoquées directement ou indirectement par les modèles de développement de nos sociétés industrialisées. Qu’il s’agisse du cancer du poumon lié à l’industrie du tabac, des cancers liés aux pesticides, additifs, PFAS de l’industrie agroalimentaire[3] ou encore de l’asthme et des allergies liés à la pollution de l’air et à l’aseptisation de nos milieux, les patient.es concernés sont des lanceurs d’alerte dont la parole est d’intérêt public. Ils ne sortiront véritablement du silence que lorsqu’ils seront entendus.

 

 

  Lien vers le site de l’association : https://www.afa.asso.fr/

 

 



[2] On distingue trois niveaux de prévention différents : la prévention primaire qui consiste à « éviter ou réduire la survenue ou l’incidence des maladies et des handicaps ». Les mesures liées à ce type de prévention peuvent être centrées sur les comportements individuels ou être sur des mesures de santé environnementale (Ex : campagnes de prévention sur l’alimentation « mangez 5 fruits et légumes par jour » ou la mise en place de quotas de légumes bio dans les cantines scolaires). Il existe ensuite la prévention secondaire qui agit sur le développement des maladies et enfin la prévention tertiaire qui agit pour « amoindrir les effets et séquelles d’une pathologie ou de son traitement ».  https://www.celester.org/guide-methodologique-1/definitions/les-3-niveaux-de-prevention-selon-loms

 

[3] Voir à ce propos le film « Notre poison quotidien » de Marie-Monique Robin https://boutique.arte.tv/detail/notre_poison_quotidien

 

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